#lesbonnesfeuilles „La Jeune Épouse”, d’Alessandro Baricco : tomber sous le charme

jeune-epouse-alessandro-bariccoPensez à mettre de la crème solaire avant de plonger dans ce livre ensoleillé avec vue sur l’initiation érotique de la Jeune Épouse. Une histoire d’amour signée Alessandro Baricco, qui n’hésite pas à emprunter des chemins détournés…

Des jours de grosses chaleurs, « étouffantes et impitoyables », la Famille connaissent sur ses terres d’Italie du début du XXe siècle. « Le Père, la Mère, la Fille, l’Oncle. Temporairement à l’Étranger, le Fils. Sur l’Ile . » nous annonce d’un coup sec de pinceau Alessandro Baricco, l’aquarelliste.

On s’invite donc avec délice dans la fraîcheur de leur salon à petits-déjeuners interminables et dans leurs vies, bridées par une peur commune : « Depuis cent treize ans, tous dans notre famille sont morts nuitamment, faut-il préciser. Voilà qui explique bien des choses ».

Le Fils est absent, envoyé par le Père, industriel dans le textile, espionner en Angleterre la croissance du secteur. Un jour, la jeune épouse que le Fils s’était promis à l’adolescence fait son apparition au sein de la Famille, le jour de ses dix-huit ans. À travers des secrets dévoilés à compte-gouttes, Alessandro Baricco se livre à des jeux de séduction voluptueusement littéraires.

Ne pas arrêter d’attendre semble dire l’écrivain italien qui affectionne les relations d’absence (dans un roman précédent, Soie, l’histoire d’amour se faisait lettre). La Jeune Épouse se languit de son Ulysse — le Fils, rentrera-t-il un jour ? — et poursuit son apprentissage érotique grâce aux rites quotidiens de cette Famille étrange, ensorcelante : un Père né avec « une inexactitude de cœur » qui exige « une manière précautionneuse et ralentie de côtoyer le monde » ; une Mère dont « les éclats de splendeur » ont fait fondre des pères et des fils d’une même famille ; une Fille qui, immobile, a la beauté parfaite d’un cercle, mais « se décompose au moindre mouvement » ; un Oncle qui profère des sentences sibyllines sans jamais quitter le seuil de la rêverie.

 

 

Alessandro Baricco aime être un écrivain trouble. Sans préavis, il bascule au bon milieu de la phrase d’une personne à une autre, plan et contre-plan ne se succèdent plus, ils se superposent et flottent, comme si l’écrivain louchait tout d’un coup. Détrompez-vous : s’il télescope les « je-tu-il-nous » à sa guise c’est pour mieux parler de lui-même, de cet écrivain ventriloque qui a l’impertinence d’interrompre le fil de l’intrigue à point nommé pour se confesser en tant qu’écrivain. Tiré presque de l’imaginaire dalinien, le portrait de l’Oncle autorise le narrateur à se parler à lui-même afin de justifier les détails de son croquis surréaliste :

« Si je le signale, c’est par souci de précision, mais aussi parce qu’il m’a semblé entrevoir aujourd’hui un début de cohérence dans tout ce qui m’arrive, et donc depuis quelques heures, j’arrive sans peine à percevoir des sons qui demeurent le plus souvent inaudibles dans l’étreinte du doute : par exemple le tintement de la vie, parfois, sur la table en marbre du temps, telles des perles qu’on ferait tomber. »

 

 

 

À travers ses apartés poétiques, mélancoliques ou ironiques, l’écrivain met une distance sournoise entre le lecteur et le plaisir haletant du texte et de l’intrigue. Différer la suite de l’histoire serait-il aussi une manière de sauver sa temporalité d’écrivain, de charmer le temps, comme Shéhérazade son bourreau ? Après tout, un roman qui finit est en quelque sorte l’aveu d’une impuissance ultime : au-delà du point final du récit guette la mort.

Envoûtante histoire d’amour,  La Jeune Épouse  est aussi une séduisante profession de foi littéraire. Quand Alessandro Baricco suspend l’histoire linéaire de l’initiation sexuelle de la Jeune Épouse — qui doit apprendre comment nouer ses cheveux pour rappeler aux hommes pourquoi ils se trouvent en ce moment précis sur terre —, et glisse un autre narrateur, celui de l’écrivain mélancolique et trouble, c’est accomplir à l’écrit le prélude, c’est gorger les pages d’une sensualité latente, c’est différer le plaisir, le reléguer à la page suivante.

La littérature, comme initiation à l’érotisme : chaque page, ne serait-elle pas le prélude de la suivante ?

Cristina Hermeziu

Cette chronique a été précédemment publiée sur le site ActuaLitte.com

 

 

 

 

https://www.actualitte.com/article/livres/la-jeune-epouse-d-alessandro-baricco-tomber-sous-le-charme/65949

 

Alessandro Baricco, La jeune épouse ; Editeur : Gallimard; Genre : litterature ; Total pages : 224; Traduit de l’italien par Vincent Raynaud; ISBN : 9782070178919 ; prix grand format : 19,50 euros

4 commentaires sur “#lesbonnesfeuilles „La Jeune Épouse”, d’Alessandro Baricco : tomber sous le charme

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      1. Ah, d’accord. Ce blog ne se propose donc pas d’être lié aux deux cultures mais à vos envies. Merci.

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      2. Si, si. Cela dit, je me permets quelques évasions. C’est grave? merci à vous

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